Avant même notre départ, des problèmes se sont présentés.
Les camarades de Strasbourg et d’Offenburg (ville allemande proche de la frontière) ont dû se démener pour louer un mini-bus : malgré un accord de principe donné une semaine auparavant, la compagnie de location n’avait soudain plus de véhicule pour les gens qui allaient à Rostock… mais pour les autres destinations, oui !! Comme par hasard, au même moment, la police allemande lançait une vague de perquisitions pour soupçon de formation d’une coalition terroriste ; les flics iront ensuite jusqu’à téléphoner aux proches de certains militants, afin de les intimider. Malgré la pression policière, nous dénichons un mini-bus et partons pour Rostock le 1er juin, avec les copains de l’antifa Offenburg et quelques militants de divers groupes FA.

Nous arrivons sans subir de contrôles au camp de Reddelich, le plus proche de la zone interdite. Le camp est organisé en « barrios » (quartiers), chacun regroupé autour d’une cuisine autogérée. Nous nous installons dans le « Black barrio », dans lequel se trouve aussi une grande tente installée par l’Ifa (Internationale des Fédérations Anarchistes), où l’on peut trouver du matériel d’information et de propagande, et nouer des contacts. Pas loin de nos tentes, également, le « Family camp », où sont installés les gens qui ont amené des enfants. Ainsi, tout au long de la semaine, nous serons entourés par des individus vêtus de noir revenant d’action... mais aussi par des mômes surexcités en train de jouer au milieu des tentes.

La manif unitaire du 2 juin

Samedi 2 juin, c’est le jour de la grande manifestation unitaire à Rostock, qui rassemble 60 000 personnes. Alors que nous arrivons sur le port et que nous sommes juste derrière le Black block, des lacrymos sont lancées. La police charge, notre groupe se retrouve dispersé. Je n’arrive pas vraiment à suivre ce qui se passe, je vois des groupes de flics charger en plein milieu des manifestants, des gens qui courent dans tous les sens, des pavés qui volent…Des chiffres contradictoires nous parviendront ensuite, sur le nombre d’arrestations, le nombre de blessés de part et d’autres. Peu après mon retour en France, j’ai appris que parmi les dizaines de blessés graves annoncés dans les rangs de la police, seuls deux avaient finalement été hospitalisés. Moi qui croyais qu’un blessé grave était forcément hospitalisé, j’ai encore beaucoup à apprendre…

Dans les jours suivants, les « casseurs » seront unanimement vilipendés dans les médias officiels. Mais d’autres versions circulent. On dit que des « agents provocateurs » de la police auraient déclenché les violences, un flic en civil a été démasqué. L’endroit où l‘émeute a éclaté, situé au bord de l’eau, était idéal pour la police afin de mieux contenir les manifestants. Alors, qui, des flics ou du Black block, a déclenché les hostilités ce jour-là ? Les véritables « violences » n’ont-elles pas débuté en fait trois semaines avant le G8 , lors de la vague de perquisitions musclées menées par la police dans les milieux de la gauche radicale et des autonomes ?

Le 3 juin, nous restons au camp, ce qui nous permet de nous familiariser avec la « technique des cinq doigts » qui sera utilisée pour bloquer les accès à Heiligendamm, l’idée étant de se déployer sur un large ligne pour « submerger » les policiers sous le nombre. Cette journée est aussi l’occasion de participer un peu plus à la vie du camp : cuisine, garde de nuit, réunions de barrios et assemblées générales.

Journée d’action sur les migrations

Le lendemain, nous participons à la journée d’action sur les migrations. Alors que nous descendons du train à Rostock avec un groupe venu de Reddelich, la police nous bloque sur le quai et veut nous faire remonter dans les wagons, paraît-il pour éviter que nous croisions un cortège de néo-nazis ! Mais l’arrivée d’autres manifestants les fait renoncer et nous rejoignons le point de départ de la manif, devant un centre de détention pour les immigrés. Les interventions se succèdent à la sono pour dénoncer l’exploitation et réclamer l’abolition des frontières. La sera bloquée à plusieurs reprises : la police affirme que des casseurs sont présents dans le cortège, qui plus est armés de haches. Malgré tout, nous repartons avec lenteur, entourés de flics. Les slogans sont en anglais (« No border, no nation, stop déportation »), mais aussi en allemand (« Bleiberecht überall, kein Mensch ist illegal »). Le cortège reste pacifique, s’amusant à scander en allemand « Keine Äxte » (« Pas de haches »). Mais à l’approche du centre ville, la police nous arrête définitivement, car selon eux nous sommes trop nombreux (plus de 5 000). La manif doit se dissoudre, une partie rejoindra en ordre dispersé le port de Rostock, où est prévu un concert le soir. Les petits groupes de manifestants sont escortés par d’innombrables colonnes de flics, masqués et casqués pour la plupart.

Deux jours de blocages

Le 5 juin, à la veille du début du G8, je suis déléguée par mon groupe pour participer aux réunions destinées à préparer le blocage du lendemain. Il apparaît progressivement que ce sont uniquement des réunions d’information, où le débat n’a pas vraiment sa place, et les « modérateurs » de la coordination Block G8 apparaissent plutôt comme des décideurs. Certes, l’action doit rassembler 5 000 personnes, et il est difficile que chacun ait son mot à dire ! Pourtant, certaines de leur prises de position déplaisent à de nombreux participants, notamment en ce qui concerne la solidarité avec les auteurs d’actions violentes. Pour la coordination Block G8, ceux qui veulent exercer des violences contre « les personnes ou les objets » n’ont qu’à aller bloquer ailleurs, et nous sommes mêmes invités à intervenir pour essayer d’empêcher toute violence. Ce point ne pourra pas être réellement soumis à la discussion, de même que l’heure de la réunion du lendemain matin, que beaucoup souhaitaient avancer de crainte d’un encerclement du camp par la police. L’initiative Block G8 n’est pas particulièrement anar, cela ce voit, et en agace beaucoup, qui préfèreront se rendre sur d’autres points de blocage. Le soir, c’est la même discussion dans notre groupe, qui finalement se sépare. Je fais partie de ceux qui décident de participer tout de même à l’action de Block G8 le lendemain, pour voir comment cela se passe.

Le 6 juin, premier jour de blocage, nous quittons le camp vers 9h. Un barrage de flics nous oblige à couper à travers la forêt. A proximité du lieu du blocage (la route menant à la « porte Est » ), les diverses colonnes (les cinq doigts) se regroupent dans une grande prairie, afin de partir toutes en même temps. C’est alors que l’arrivée d’un drapeau noir marqué d’un A cerclé est accueillie par des acclamations : ce sont les camarades de la Fédération anarchiste polonaise. Enfin, les colonnes s’ébranlent, nous traversons les champs, finissant le chemin au pas de course. Les quelques cars de police sur la route reculent pour nous laisser la place ; une voiture transportant un délégation vers Heiligendamm se retrouve coincée et doit rebrousser chemin sous les huées. Nous venons de démarrer le sit-in lorsqu’on nous apprend que toutes les voies d’accès à Heiligendamm seraient bloquées, ainsi que l’aéroport. Certains commencent à couper les barbelés qui empêchent l’accès à la « zone orange ». Alors que « l’équipe de modération » de Block G8 tente de les en dissuader, des voix s’élèvent parmi les personnes assises pour les encourager ! Une fois la barrière détruite, quelques courageux s’aventureront dans la forêt, jusqu’à la grande clôture de la zone rouge.

La police nous laisse bloquer la route tranquillement, et pour cause : nous sommes très nombreux, et ils préfèrent libérer les autres points de blocage, plus fragiles, et notamment celui de la seconde porte menant à la zone rouge. L’équipe de Block G8 nous explique que celle-ci est bien plus difficile d’accès, impossible de s’étaler à travers les champs comme nous venons de le faire. Autrement dit, le blocage de la porte Ouest a bien plus de chances de mener à des affrontements directs avec les flics. Nous sommes un millier à décider de quitter le blocage de Block G8 pour nous diriger vers Bollhagen. Alors que nous longeons la barrière de la zone rouge, hélicos et policiers à cheval nous escortent de loin. Enfin, nous atteignons la route, mais certains sont restés à la traîne : nous devons être entre 100 et 200 à faire un sit-in, que la police mettra un certain temps à évacuer, sans violence, secondée par les canons à eau. D’autres blocages tiendront toute la nuit.

Le lendemain matin, alors que la marche en étoile à été interdite, nous sommes un bon millier à repartir de Reddelich, direction la porte Ouest à nouveau, à travers la forêt pour éviter d’être vus par les hélicoptères. A notre arrivée, les flics en ligne occupent déjà la route et tentent de nous repousser. Cette fois, nous avons l’avantage du nombre. Nous avançons vers la route, quelque peu protégés par des bâches, dans lesquelles le jet du canon à eau fait des trous tant la pression est forte. Il y aura ce jour-là un blessé grave, atteint à la tête par le jet. Enfin, nous parvenons à former une ligne juste en face de celle des flics, d’autres personnes nous rejoignent, ils renoncent à nous faire reculer. Certes, nous n’occupons pas la route… mais les canons à eau la bloquent à notre place !
Dans l’après-midi, une dizaine d’hélicoptères effectue un ballet aérien juste au-dessus de nous, aux frais du contribuable allemand… cela ne semble pas avoir d’autre but que de nous impressionner. Ils finissent par se poser, apportant des troupes de renfort. Alors que nos délégués de groupes se réunissent pour discuter de la situation, une escouade de flics fait une violente incursion entre nos lignes pour arrêter trois personnes. La situation se tend, on nous ordonne à nouveau de reculer, et à présent ce sont eux les plus nombreux. Canons à eau, matraques, puis lacrymos entrent en action, les flics finissent par charger, le blocage est violemment évacué, il doit être environ 18h. Nous aurons malgré tout bloqué la route presque toute la journée. Le lendemain, jour de la clôture du G8, nous rentrons en France.

Participer à un contre-sommet, c’est l’occasion de protester, mais aussi de faire des rencontres, de mettre en pratique des mode d’organisation anti-autoritaires. Et puis, je ne connais rien de plus encourageant que de voir des milliers de personnes en marche à travers les champs de coquelicots pour essayer de bloquer les maîtres du monde… alors, rendez-vous au prochain G8 !

Cha

Groupe de Strasbourg de la Fédération Anarchiste