VIVE LA COMMUNE !

Et c’est reparti pour un tour. Deux, en l’occurrence ! Après les élections présidentielles et législatives de 2007, voici venir le temps des élections municipales de 2008 ! Président Sarko, qui ne doute de rien, a décidé que ces élections, traditionnellement peu politisées, devaient l’être fortement et s’inscrire dans une logique de plébiscite, pour ou contre lui ! Ses petits « camarades » flippent comme des bêtes. Les ganaches de l’opposition n’en espéraient pas tant. Ainsi, donc, l’une des dernières ambiguïtés électoralistes, jadis maquillée jusqu’à l’outrance d’apolitisme, d’intérêts locaux et de proximité, va voler en éclats. Désormais, l’insignifiance municipale et son dérisoire de réfection de trottoirs, de constructions de ronds-points, de ramassage de crottes de chiens et de gestion à minima d’un quotidien au ras des pâquerettes, risque d’apparaître nue, dans toute sa dépendance politique. Tant mieux !

Du mythe communal

Dans l’imaginaire populaire (savamment orchestré par les Maîtres du Monde), l’espace communal et municipal est considéré tout à la fois comme d’importance et comme déconnecté des problématiques politiques centrales considérées comme nauséabondes. Car, c’est bien connu, Mr le Maire, Mr le conseiller municipal…, sont largement à même de peser sur la vie politique, économique et sociale de la cité (ce sont eux qui décident de construire ou non des usines, qui décident du montant des salaires…) et le font apolitiquement sous le seul drapeau de la défense de l’intérêt local ! A l’heure où, pour pouvoir faire quoi que ce soit d’importance, il faut l’accord et la participation financière des SIVOM, des communautés de communes, des Pays, du Conseil Général, de la Région, de l’Etat, de l’Europe…, c’est peu dire que cet imaginaire est largement en décalage avec la réalité. Hormis dans le cas de quelques grandes villes, la commune française ordinaire (c'est-à-dire l’écrasante majorité des 36 000 communes existantes) est sans grand pouvoir (politique et financier) pour ce qui concerne la gestion de la cité. Sauf à se coucher devant les maîtres du monde politique, économique et financier. Alors, pourquoi ce mythe de la commune maître de son destin et vaccinée contre la peste politicienne ?

De la fonction politique et sociale d’un mythe

Dans les sociétés de démocratie bourgeoises où l’économique et le financier détiennent les clefs du vrai pouvoir, il est impératif de laisser croire au peuple qu’il a son mot à dire dans la maîtrise de son destin. Les élections présidentielles (désignation du chef suprême), comme les élections législatives (désignation des godillots du chef suprême), font partie de ce processus, mais ont l’inconvénient d’être perçues comme relevant d’un essentiel compliqué et éloigné des préoccupations quotidiennes du peuple. Les élections municipales et cantonales sont là pour remplir ce vide. Et puis, c’est vrai, Mr le Maire est quand même à même de rendre bien des services. Pour trouver du boulot au fiston. Pour écrire à Mr le député ou Mr le ministre au sujet de… Pour empêcher ces saloperies de lapins du champ d’en face de venir manger les carottes de ma mère. Bref, si les municipalités n’ont pas grand pouvoir, elles ont, néanmoins, plein de petits pouvoirs. Et, sans doute cela suffit-il au citoyen lambda pour demeurer attaché à ce type d’élections de proximité. Surtout dans les petites communes où le panachage (on vote pour des personnes et non pour une liste) est la règle. Alors, pourquoi président Sarko a-t-il décidé de politiser ces élections dont le caractère consensuel a toujours fait le lit de ses notables à bedaines ?

La roche Tarpéienne est proche du Capitole

A l’heure où le pays s’enfonce dans la crise, où la casse sociale menée tambour battant attise la rancÅ“ur populaire, et où l’impuissance du pouvoir politique à améliorer le sort des manants devient chaque jour plus patente, les élections municipales de mars s’annonçaient comme « délicates » pour la majorité présidentielle. Délicates, mais sans plus, car dans ce type d’élection, la prime au sortant et au pouvoir a toujours largement équilibré le protestataire. Et puis, que craindre quand on ne voit guère la différence entre une gestion municipale ou régionale de droite en « bon père de famille » et une gestion de gauche du même tonneau ? Bref, s’il était à « craindre » que les gueux soient tentés d’émettre quelques grognements protestataires, cela avait peu de chance de prendre l’allure d’un raz de marée. Or, en décidant de politiser ces élections municipales, président Sarko ouvre en grand la porte à cette hypothèse. Conscient d’une impopularité croissante qu’il ne supporte pas et persuadé de sa capacité à rebondir, il a choisi de tenter le tout pour le tout. Cela s’appelle l’ivresse du pouvoir. Et, ce sera en mars prochain ou à une autre occasion, ça conduit immanquablement à louper un virage. Pour autant, même si les élections municipales prennent l’allure d’un vote protestataire massif et font mordre la poussière à la droite, cela n’aidera en rien à faire émerger l’espoir d’un changement social.

De l’inanité du municipalisme révolutionnaire

Admettons que, comme pour les élections régionales, les élections municipales voient déferler des hordes roses, rouges et vertes. Sans doute (ce n’est même pas certain) le peuple sera-t-il un peu moins maltraité. Mais, dans des communes sans pouvoir et avec des élus qui se sont résignés à simplement gérer au moins pire le capitalisme, la vie des humbles n’a aucune chance de changer significativement. Admettons que, ici ou là, dans la foulée, quelques trotskistes de Lutte Ouvrière, quelques anticapitalistes de la LCR, quelques alter mondialistes et, même, quelques libertaires se retrouvent à occuper des strapontins. Sans doute (ce n’est même pas certain) le peuple aura-t-il quelques occasions (via des conseils de quartiers, de jeunes, de vieux…) de pouvoir s’exprimer un peu moins indirectement. Mais … Dans les années 70 (1970) un certain nombre de militants autogestionnaires (principalement du PSU) tentèrent l’aventure de l’autogestion communale au royaume du capitalisme. Qui s’en souvient ? Antérieurement, dans les années 70 (1870), un certain nombre de militants révolutionnaires tentèrent l’aventure de l’autogestion communale dans le cadre d’une lutte globale contre le capitalisme. Qui ne s’en souvient pas ? Sans aucun doute, la commune est, en soi, un espace potentiel de démocratie directe à nul autre pareil. Mais, sans aucun doute, également, la démocratie directe ne se décrète pas. Elle se conquiert, pas à pas, dans la lutte contre un système social qui l’a toujours empêché de s’exprimer. Et elle s’acquiert par une éducation de tous les instants. Pour l’heure, la commune est comme un oiseau en cage. Et le problème est moins de lui apprendre à voler en cage que de lui apprendre à briser les barreaux de la cage pour pouvoir prendre son envol. De ce point de vue il y aura toujours une différence majeure entre la commune et la Commune.

Chaucre le 01.02.08

Jean-Marc Raynaud